Les enfants seuls savent ce qu’ils cherchent (Renard)

Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson d’aile :
— Un chant mystérieux tombe des astres d’or.

Protégée à l’abri sous la canopée de bouteilles en verre polychrome qui borde l’arrière de la maison de Bordeciel, tu refermes délicatement le bocal que t’a donné Shaula. « Ce n’est pas un bocal ordinaire », qu’elle avait dit, fée-sorcière à la prose mystique et mystérieuse, qui pourtant s’insinue comme nulle autre dans ta tête jusqu’à ton cœur. « C’est un bocal à émotions. Regarde, c’est simple. Tu ouvres le couvercle, et tu vides ton cœur dedans. Parle, chuchote, crie, pleure. Il n’y a pas de façon de faire établie. Tu livres à l’intérieur tout ce qui t’habite en dedans. Et quand tu sens tes épaules redevenir légères, c’est à ce moment-là que tu le refermes. »
Il est encore bien tôt ce matin-là et le soleil se lève tout juste, citrouille d'un orange flamboyant étirant oisivement ses rayons sur l'horizon diaphane. La tête te tourne un peu, et le fourmillement dans tes doigts s’atténue alors que tes mains serrent le bocal étroitement contre ton cœur. La première fois que tu avais parlé dedans, tu t’étais sentie idiote, honteuse qu’on te surprenne le museau dans un récipient creux. Venessa, tête de linotte, tu te noies dans le vide, ressaisis-toi ! Mais, d’avoir persévéré sur les conseils de ton hôtesse avisée, ce rituel était devenu l’une de tes bouées de secours les plus précieuses.
Tes billes embuées se posent sur les brins d’herbes folles qui poussent à travers les dalles derrière la maison, et dans le calme qui règne en ce sanctuaire perdu entre plage et forêt, tu laisses ton esprit voluptueusement vagabonder.
Ce n’est que lorsqu’un tintement cristallin résonne non loin que tu reviens à toi, frimousse étourdie qui se tourne vers l’origine du bruit. Le klaxon du vélo de Renard sonne comme une joyeuse clochette à la moindre secousse contre le pavage, et c’est comme si son sourire doux s’en excuse. Un instant, tu penses à filer, réticente à l’idée de te faire surprendre ton bocal à la main. Mais fluet goupil à la mise si engageante ne t’a jamais couvée que d’un regard plein de bienveillance et de débonnaireté. Comprend-iel l’ampleur de l’abysse dans lequel tu t’enfermes, volontaire prisonnière de ta propre geôle ? Tes lèvres hésitent mais s’incurvent en sourire timide, ta main se lève pour lea saluer quand son biclou arrive à hauteur de tes yeux. « Salut Renard. » Te répondent en écho fossettes qui fusent et cils qui papillonnent, te rassurent aussitôt. « Tu pars en tournée ? »

( Pando )